Le monde de la santé traverse un moment de tensions importantes face aux difficultés d’accès aux soins que rencontre une part de moins en moins négligeable de la population. Il ne peut y avoir de système de santé sans solidarité ni équité, ne l’oublions pas, et six millions de français seraient aujourd’hui, sans médecin traitant…
Nous savons comme soignants qu’il n’y a rien de pire qu’un malade seul. Nous croyons aussi que la santé doit rester un projet collectif et surtout pas un marché d’intérêts individualistes.
Comment alors sortir de la crise actuelle avec la même espérance que ceux qui ont fondé notre système de protection sociale en 1946 qui nous a permis de disposer tous de soins d’excellence?
Nous n’allons pas revenir sur les causes des difficultés actuelles.
Et pourtant…
Depuis des années des experts de tous horizons avaient prédit les failles actuelles car les points de fragilité étaient connus : transition épidémiologique, vieillissement de la population, médicalisation de la vie de la naissance à la mort, coût des traitements, prise en compte des ressentis des patients et de leur expertise afin d’améliorer l’observance ou réduire le fardeau thérapeutique. L’évolution du rapport au travail, l’impact du numerus clausus ou de la formation trop biomédicale universitaire ne nous ont pas aidés à soutenir les médecins généralistes, acteurs de soins primaires, dont les missions principales sont devenues peu à peu l’art de négocier et de coordonner des parcours médicaux, souvent psycho-sociaux de plus en plus complexes.
Quel est le rôle du médecin généraliste et quel sens donnons-nous à notre métier ?
Le médecin généraliste propose des soins de premier recours avec une approche biopsychosociale et une parfaite connaissance territoriale nécessaire à l’offre de soins de proximité.
Il assure le suivi des patients et plus largement des familles et propose une approche de prévention primaire, secondaire, tertiaire et aussi quaternaire en effectuant la synthèse des examens et des consultations de spécialistes pour éviter une cascade d’examens et de prescriptions inutiles pouvant être préjudiciables aux patients.
Dans le cadre d’un maintien à domicile souhaité par les patients, leurs familles et plus largement la société, il visite les personnes handicapées ou dépendantes à leur domicile.
Il assure la continuité des soins en participant autant que de besoin à la PDSA et au SAS.
Il s’inscrit dans un exercice coordonné, respecte les exigences de formation continue et participe à la formation des futurs médecins généralistes.
Nous voudrions rappeler ici que nous sommes heureux d’être médecins généralistes car ce métier, parfois difficile, est une chance.
Une chance de pouvoir partager avec les patients des moments, qui sont bien plus qu’une simple relation contractuelle scellée par une carte vitale et un droit à consommer du soin.
Une chance que l’offre de soins de premier recours et de proximité soit et doive rester un des piliers de notre système de santé, à côté de l’hôpital, de l’offre de l’excellence technique biomédicale et du réseau social.
Une chance enfin car les pistes de refondation des soins primaires existent.
Quatre points en effet peuvent être dégagés pour reconstruire notre offre de soins primaires.
1 - Les soins primaires de demain devront d’abord s’organiser comme un réseau pluridisciplinaire de soignants et d’aidants de proximité. Sous la forme d’une maison de santé (MSP) ou d’un tiers lieu de santé, d’une communauté structurée ou mutualisée, tous construits autour d’une envie de travailler ensemble avec des d’outils transversaux de communication. Les possibilités sont nombreuses et passionnantes, toutes les initiatives remontant des territoires sont une source d’inspiration. A nous de les saisir.
2 - Les soins primaires de demain seront aussi techniques car connectés : téléconsultation, télé-expertise, outils connectés (dermatoscopie, échographie, ECG, tests biologiques…), IA, nous redonnent la possibilité de renforcer la qualité de nos interventions. Nous resterons connectés aux patients grâce à la présence physique d’un accueil humain dans nos cabinets, mais avec l’aide d’outils modernes de messagerie ou d'une offre de santé communautaire qui ne se résumera pas à une télévision dans une salle d’attente.
3 - L’offre de soins primaires devra se reconstruire comme un véritable projet collectif et citoyen constituant un lieu de repère et d’échanges avec les patients, ancré dans un territoire ou un quartier. Sans ambition locale, sans attractivité ni développement territorial il n’existe pas d’offre cohérente de soins. L’offre de santé doit être incluse dans une vision globale de services du quotidien. Dans une vision citoyenne de responsabilisation des patients vis-à-vis de leur santé, le cabinet de médecine de premier recours doit pouvoir accompagner les patients dans la lecture critique des données auxquelles ils accèdent via différentes sources d’information ou de désinformation. Qui mieux que son médecin traitant et son cabinet médical pour participer à cette médiation et à cette négociation ?
4 - Enfin il ne peut y avoir de soins primaires sans confiance ni liberté. Liberté de choix pour les patients, liberté de prescriptions pour les soignants, liberté de l’alliance thérapeutique ou de la rupture, liberté de la parole, du secret ou du droit de se taire. Sans confiance, pas d’observance thérapeutique, pas de réduction des risques ou de motivation pour changer son mode de vie. Sans confiance, pas de directives anticipées ni de mots pour dire les violences vécues.
Les enjeux à venir sont lourds car il s’agit pour nous tous de construire un système d’offre de soins, moderne, équitable et accessible à tous, économiquement soutenable et respectueux de l’environnement. Nous sommes sûrs que les acteurs de soins primaires sauront trouver leur place dans cette nouvelle architecture, sans contraintes et sans les excès de procédures administratives étouffantes.
Commission de Médecine Générale du CDOM de la Gironde
Christophe Adam, Catherine Dupont-Biscaye, Bénédicte Labadie, Pierre Monsec, Karine Pladys, Habib Sangare, Philippe Veaux,
Muriel Rainfray, Présidente du CDOM de la Gironde