La Lettre n° 7 / juin - juillet 2022

 

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La Lettre n° 7 / juin - juillet 2022

Publiée le 16 juin 2022

Editorial
Violences conjugales : le médecin relevé du secret médical lorsque la victime est en danger imminent.
 

Encore 113 féminicides en France en 2021. Leur prévention relève de la responsabilité citoyenne et particulièrement médicale. Pour aider les médecins girondins à agir en face de telles situations, le Conseil Départemental prépare un protocole qui sera soumis prochainement à la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Bordeaux afin de fluidifier la procédure de signalement.
 

Une commission vigilance-violences se met en place au CDOM ; des conseillers référents violence/sécurité vont être désignés. Un modèle de signalement sera envoyé à chaque médecin de Gironde et un onglet « signalement » créé sur le portail du site du CDOM33.
 

Suite au Grenelle des violences conjugales de 2019, la loi du 30 juillet 2020 a modifié l’article 226-14 3° du code pénal qui permet désormais au médecin ou à tout autre professionnel de santé de porter à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein d’un couple, sans engager sa responsabilité civile, pénale ou disciplinaire, lorsqu’il estime en conscience que certaines conditions sont réunies cumulativement : la personne est majeure, elle est victime de violences de tout ordre (physiques, psychologiques ou sexuelles) commises au sein du couple, la vie de la victime est en danger imminent et elle n’est pas capable de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences. La notion de couple a été élargie par la loi. Les violences conjugales regroupent toutes les violences commises entre partenaires ou anciens partenaires intimes même lorsque victime et auteurs ne cohabitent pas, qu’ils sont séparés mais que les violences sont commises en raison de leur ancienne relation.
 

La notion de danger imminent inclut la possibilité de survenue d’un préjudice irréparable qu’il faut prévenir. Il revient donc au médecin d’apprécier rapidement la nature et le degré du danger. L’emprise est une ascendance intellectuelle ou morale exercée sur un tiers. Elle inclut un rapport de domination qui peut aller jusqu’à l’asservissement d’une personne qui devient incapable de se défendre. Les situations d’emprise sont multiples, la jurisprudence en donne de nombreux exemples. Dans ce cas, la possibilité d’un signalement immédiat est donnée au médecin sans que la victime soit obligatoirement consentante. Un vade-mecum publié par le CNOM, le ministère de la Justice et la HAS fournit des critères utiles à l’identification du danger et l’emprise du partenaire ou de l’ex-partenaire sur la victime.

Docteur Fabrice Broucas, Président
Docteur Philippe Veaux, Vice-Président

 

Au sommaire :

label_outlineEn provenance des territoires

label_outlineMissions du CDOM 33

label_outlineL'Ethique au quotidien

label_outlineKiosque

label_outlineRéunions, colloques

 

En provenance de la CPAM

Missions du Conseil départemental de la Gironde de l'Ordre des médecins

Saisie des dossiers médicaux par la Justice

Docteurs Catherine DUPONT-BISCAYE, Jean-Marc DEMAY
 

Les demandes de saisie de dossiers médicaux par la Justice sont de plus en plus fréquentes. La saisie du dossier médical n'est en rien une remise en cause de la pratique médicale.
 

Que la Justice soit saisie d’une plainte pour homicide, qu’elle suspecte une fraude à la Sécurité Sociale, qu’elle recherche des éléments de preuve contenus dans un dossier médical, la saisie de ce dossier est le seul moyen, pour les magistrats et les Officiers de Police Judiciaire (OPJ) d’obtenir des informations détenues par les médecins ou les établissements de santé. La saisie d’un dossier médical intervient uniquement dans le cadre d’une procédure pénale.
 

Garanti par le Code de la Santé Publique et le Code de Procédure Pénale, le secret médical est un droit du patient et un devoir absolu du médecin. Ce caractère absolu est mis en cause quand il constitue un obstacle à la vérité dans les affaires judiciaires. La saisie obéit donc à un certain nombre d’impératifs.
 

Procédure pratique de la saisie :
 

Le juge d’instruction a envoyé à l’OPJ une commission rogatoire.
 

C’est l’ensemble du dossier ORIGINAL qui est saisi (intérêt d’établir un double du dossier avant toute saisie).
 

Sont présents obligatoirement :

  • L’OPJ
  • Le médecin responsable du contenu du dossier
  • Le Conseiller ordinal
  • Un représentant de la direction de l’Etablissement si la saisie a lieu dans un établissement hospitalier ou en maison de retraite.

Le médecin remet au conseiller ordinal le dossier ; celui-ci vérifie qu’il s’agit bien du dossier visé par la commission rogatoire et si le dossier ne contient pas de documents dont le Juge ou l’Expert n’ont pas à avoir connaissance et que l’on doit retirer (notes personnelles…).
 

Le conseiller ordinal remet le dossier à l’OPJ qui le place sous scellés fermés.
 

L’ensemble des présents signe la fiche de saisie établie par l’OPJ (à relire dans tous les cas) et apposent leur signature sur l’enveloppe de saisie.
 

Précautions à prendre par le médecin détenteur du dossier :

  • Lors de la réception du courrier de la saisie, appeler le Conseil de l’Ordre pour les démarches à suivre si besoin.
  • Ne pas donner à l’OPJ de renseignement à caractère médical, ne faites pas de commentaire.
  • S’assurer de l’existence de la commission rogatoire que doit présenter l’OPJ
  • Si vous êtes médecin hospitalier, la présence d’un représentant de l’administration est obligatoire
  • Assurez-vous de la présence du représentant de l’Ordre
  • Avant la saisie faire un double du dossier, surtout si c’est un patient que vous aurez encore à suivre et ce sont les originaux qui doivent partir
  • Remettez les pièces au Conseiller ordinal qui vérifiera qu’elles ne concernent que ce qui est effectivement demandé, les classera et les dénombrera pour que l’Expert Judiciaire puisse en constater l’intégralité. Parfois les dossiers sont conséquents et un dénombrement peut être fastidieux mais il reste obligatoire.
  • Veillez avec le représentant de l’Ordre à ce que les documents soient mis sous scellés fermés avant d’apposer votre signature sur la fiche de scellés
  • Relisez le Procès-verbal établi par l’OPJ avant d’y apposer votre signature
  • Consignez si nécessaire sur le PV de saisie les observations que vous pouvez être amené à faire sur le déroulement de la saisie
  • Enfin abstenez-vous de toute remarque, appréciation et sentiment de votre part concernant l’affaire.
La présence d’un représentant de l’Ordre est destinée à vous aider pour que le secret médical soit respecté mais il ne peut faire obstacle à la Justice hormis le cas où les règles de procédure ne seraient pas respectées. En aucun cas l’OPJ ou un membre du personnel administratif n’a droit de regard sur le dossier.


Bibliographie :

  • Article du Dr Philippe Roux , ancien Président de la Commission Saisies et perquisitions au CD33
  • Revue du CDOM 33. Françoise Gambachidze, Doyen des Juges d’Instruction - Janvier 2017
  • Revue du CNOM - Juin 2018

L'éthique au quotidien

La médecine d’aujourd’hui est-elle déshumanisée ?

Docteur Muriel RAINFRAY
 

Depuis une cinquantaine d’années, on entend une critique de plus en plus énergique de la médecine et en particulier des études médicales qui, en ne formant les étudiants qu’à partir d’un modèle biomédical représentant le naturalisme scientifique, auraient abouti à des générations de médecins ayant perdu toute empathie et à un véritable pourrissement du métier de médecin (Spencer, 2004).
 

Cette critique provient du courant humaniste médical qui prône l’empathie comme vertu cardinale de la relation patient-médecin et affirme son déclin.
 

Sans nier l’intérêt de faire entrer plus de sciences humaines et sociales dans les études médicales et de promouvoir la médecine narrative pour mieux considérer le patient, il faut se demander si l’empathie est bien la vertu cardinale de la relation médecin-patient.
 

L’empathie est un concept flou qui comporte trois composantes : l’empathie émotionnelle qui nécessite de ressentir les émotions du patient pour mieux le comprendre, l’empathie cognitive qui nécessite de comprendre ce que le patient connait et comprend de sa situation, quelles sont ses représentations de la maladie, et l’empathie compassionnelle qui recherche et agit pour le bien du patient sans ressentir ses émotions. C’est de l’empathie émotionnelle que l’on parle la plupart du temps en médecine.
 

Pour affirmer que l’empathie des médecins ou des étudiants en médecine a décliné au cours des années, encore faut-il la mesurer. Comment mesurer l’empathie ? Les méthodes de mesure de l’empathie reposent sur des questionnaires composites dont on n’est pas sûr qu’ils mesurent vraiment l’empathie plus que la compassion, la gentillesse ou encore la fantaisie. De plus, ils ne tiennent pas compte de l’environnement dans lequel travaillent les étudiants et les médecins. De l’avis des chercheurs spécialistes de ce sujet, la baisse de l’empathie chez les médecins n’est pas clairement établie.
 

Pour dire qu’il faudrait introduire plus d’empathie dans la relation patient- médecin, il faudrait en démontrer les bénéfices pour la pratique médicale. En effet, il semble sous-entendu que l’empathie est une qualité morale qui permet le bien agir. L’empathie serait un des fondements de notre morale et nous aiderait à agir moralement et de façon altruiste.
 

Ceci n’est pas vérifié et l’empathie peut au contraire nous amener à des comportements injustes du fait de biais de proximité et de ressemblance : on est plus proche des personnes qui nous ressemblent et qui nous sont sympathiques. L’empathie pourrait attirer l’attention sur un individu au détriment d’une population ou d’autres individus. Plusieurs expériences de psychologie ont montré que l’empathie biaise le jugement en privilégiant le soin optimal d’un patient et en faisant passer les autres au second plan. D’autres conséquences néfastes de l’empathie sont évocables : privilégier le court terme aux dépens du long terme, soulager sans chercher de cause, prescrire beaucoup de médicaments de confort sans traiter la maladie. L’empathie émotionnelle pourrait biaiser les décisions médicales, pourrait mener à des comportements paternalistes, en prétendant savoir mieux que la personne ce qu’elle ressent.
 

L’empathie n’est pas un remède miracle. Demander à des médecins qui vivent dans le monde des souffrances de l’autre de développer l’empathie émotionnelle peut les mener à l’épuisement psychologique. On sait aussi que les femmes sont plus susceptibles d’avoir une empathie extrême, irrépressible, qui les met en danger or la profession s’est bien féminisée.
 

A l’heure où les troubles anxieux et la dépression sont régulièrement retrouvés chez les étudiants en médecine, les soumettre à une empathie constante est certainement délétère.
 

Alors, où chercher l’humanisme en médecine ?
 

Pour J Ferry-Danini, la compassion est préférable à l’empathie. En effet tout en échappant à l’emprise émotionnelle, la compassion cherche le bien des autres et se soucie de leur sort. Elle peut éviter la plupart des biais générés par l’empathie émotionnelle.
 

Une autre critique que l’on peut faire à l’humanisme médical (compassion, empathie) est d’être restreint à la dyade médecin-patient et de donner une définition restreinte de la médecine. La médecine peut aussi être considérée comme une activité sociale avec des acteurs multiples, un système de soins, de santé. Inclure la santé publique et raisonner sur des populations dont on veut le bien se rapproche du modèle biopsychosocial de Engel (1977) en replaçant les individus dans leur contexte économique, social, culturel et environnemental. En isolant les déterminants des inégalités de santé, en travaillant sur différents modèles de soins, la santé publique ne fait pas fi de la relation médecin -malade, elle peut permettre au contraire de l’améliorer en favorisant la mise en perspective du patient dans son environnement.

 

Spencer (2004). Decline in empathy in medical education : how can we stop the rote ? Medical Education 38/9 p.916-918

L’humanisme médical au-delà de l’empathie. Juliette Ferrey-Danini. Archives de Philosophie 83-4, 2020, 103-120

Engel (1977). The need for a new medical model : a challenge for biomedicine. Science (NY)196/4286 :129-136

Kiosque

Ecologie interne et relation soignante. Médecine de la personne et de ses comportements. Patrice Couzigou. L’Harmattan, 231p. 24,50€

Devant la pandémie des maladies chroniques qui laissent les patients « debout » et isolés face aux enjeux du contrôle de nombreux facteurs de risque, la médecine de la personne et de ses comportements veut relever le défi d’une nouvelle relation soignante et d’une meilleure participation des patients à la prise en compte de leur santé. Le Pr Patrice Couzigou, hépato-gastro-entérologue, qui a reçu le prix de l’Académie de médecine pour ses travaux sur la lutte contre l’alcoolisme, propose dans ce livre foisonnant d’explorer les limites de la médecine reposant essentiellement sur la prescription médicamenteuse, de déchiffrer la réalité de l’engouement pour de nouvelles prescriptions soignantes (médecines alternatives) et de proposer un modèle de prescription « verte » basé sur un entretien puis sur un contrat écrit entre le soignant et le soigné engageant raisonnablement ce dernier à modifier tel ou tel comportement. La formation de tous les soignants (y compris les médecins) et la reconnaissance effective de ce mode de pratique de la médecine par nos tutelles sont les clés de la réussite de ce modèle dont plusieurs études démontrent l’efficacité.

Un livre important pour l’ensemble du corps médical qui recherche une meilleure efficacité dans la prévention des maladies chroniques et de leurs complications.

Docteur Muriel Rainfray

Ma cigarette, pourquoi je t’aime, comment je te quitte. Dr Nathalie LAJZEROWICZ. Deboeck, 2022, 189 p., 14,90 euros

Voilà un ouvrage formidable !

D’abord, le titre : Pourquoi je t’aime… Comment je te quitte ; en bref, une liaison qui se termine bien.

Ensuite, la présentation : une lecture aisée, une mise en page claire et joliment illustrée.

Enfin, le fond : il faut vraiment avoir beaucoup d’expérience en la matière pour exprimer si clairement toute la complexité de l’enjeu. Jamais culpabilisante, toujours positive, l’auteure utilise astucieusement les paroles de ses « consultant(e)s » dans lesquelles il est impossible que le lecteur ne puisse se reconnaître.

Et puis, pas trace de « cancer », « insuffisance respiratoire » ou autre catastrophe ; d'abord du positif et même du plaisir !

A offrir d’urgence à votre ami(e) qui fume encore, avec un grand sourire et beaucoup de confiance en ses capacités adaptatives.

Docteur Michel Colle

Réunions colloques

17-18 juin : 
28e Congrès SFAP languageEn savoir +


22 juin : ERENA- site Bordeaux
Citoyenneté des plus vulnérables. Participation et autodétermination à l'épreuve de la réalité.
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22-23 septembre :
12e congrès de la SGBSO Bordeaux languageEn savoir +


22 septembre à 18h - Pessac, salle Jacques Ellul

Conférence : la gériatrie, une jeune spécialité languageEn savoir +

Identifiez-vous pour accéder au Carnet du Conseil - inputEn savoir +